26 novembre 2007


Le Blues (Québec, 2006)

Sincères excuses à la Nation Atikamekw

Il y a plusieurs mois de cela (Septembre 2006), je publiais sur ce blog un article intitulé "Opitciwan, un an après". J'y décrivais dans des termes assez directs la peine qui m'avait saisi au retour d'une expérience de travail dans la communauté Atikamekw d'Opitciwan au Québec. Aveuglé par une année difficile à me promener dans des endroits très défavorisés du Globe, je ne voyais malheureusement pas en premier lieu les plus belles choses qui m'entouraient alors.
Des réactions très violentes ou emplies de reproches ont alors envahi mon blog, et même si je n'accepte pas l'agressivité masquée, je dois admettre que je comprends pourquoi. C'est pourquoi je demande ici à vous tous, membres de la Nation Atikamekw, de bien vouloir m'excuser. J'aurais du commencer pas parler des sublimes aurores boréales qui ont illuminées mes nuits là-bas, des succulentes invitations à souper des beignets de doré dont on ne se lasse jamais, des moments de joie et de franche rigolade passées en compagnie des amis et des enfants de la communauté, des promenades éblouissantes dans la forêt environnante à observer l'horizon bordé de cimes et de lacs, de la chaleur et de l'humour des habitants d'Opitciwan, et du travail acharné de ceux-ci pour faire croître leur environnement dans une atmosphère saine et détendue.
C'est de cela dont j'aurais du tout d'abord parler, avant d'aborder le sujet sensible des problèmes qui sévissent ici comme ailleurs, au sein des villes. Si j'ai tout de suite sauter à des réflexions empreintes de tristesse, c'est parce que j'aime profondément votre communauté, chers amis. C'est aussi cela que vous devez comprendre : je suis triste quand on vous fait mal, car cela me fait mal à moi aussi.
Enfin, moi, le Blanc des villes, j'espère qu'un jour j'aurais la possibilité de me rendre à nouveau chez vous car j'y ai vécu des moments riches et utiles. S'il vous plaît, je vous demande de bien vouloir m'excuser et de m'offir à nouveau l'hospitalité de vos lieux charmants et désarmants.

09 octobre 2007


Narcisse brisé (Ocotal, 2006)

L'Ennui

Il n'y a rien de plus difficile à filmer que l'ennui.
Donnez-moi du tir, de la mort, de la misère qui traîne les pieds, des tonnes d'ordures, du junkie, un trou dans le ventre (ou dans la tête), des larmes, du désespoir crié, hurlé, chanté, des mains qui touchent, brûlent, vomissent, ton père, ta mère, tes enfants cassés par la dure vie dure, mon suicide en cinémascope, toute la pourriture dans une boîte à couleurs, un oeil rongé jusqu'à l'iris.
J'en ferai quelque chose d'esthétique.
Mais l'ennui est un défi trop gros pour moi.
Je n'y toucherai plus jamais.
Il n'y a pas de colère dans l'ennui.

25 septembre 2007


Troisième oeil (Katmandou, 2007)
Photographe : Anonyme

L'Image

À Bhaktapur, j'ai rencontré un jeune peintre rafistolé en quête d'argent pour son école, ses Beaux-Arts. Bouddhiste, il vit avec d'autres de son espèce dans une bâtisse aussi chaleureuse que fissurée dont les murs sont ornés de trésors : des toiles peintes rouge et or aux traits miniatures et précis. Histoire de Siddhartha, mandala du Dalaï Lama ou danse de Shiva masquent la grisaille de ces murs centenaires qui croupissent sous la vermine. Pour les restaurer, ces jeunes peintres vendent leurs oeuvres aux voyageurs et touristes qu'ils attrapent avec des sourires. Je me laisse attraper car j'aime me faire prendre par la beauté, même un peu hypocrite. J'écoute donc l'histoire du pinceau à un seul poil qu'ils utilisent ici pour peindre le détail. Mais surtout, j'apprends avec intérêt que le premier coup de pinceau n'est autorisé à l'élève par ses maîtres, - des moines -, qu'après des années de méditation au cours desquelles il faut tout d'abord apprendre à visualiser son art. Il faut que les yeux soient grand ouverts avant de produire une seule image.
Les miens sont grand fermés. Aucun parcours méditatif ne m'a amené à faire ce que je fais. Je filme sans religion. Je l'ai eu un temps, cette mystique de l'image, mais je ne l'ai plus. La télévision l'a tuée. Il y a un rythme qu'il faudrait respecter quand il s'agit de faire des images, un rythme lent. Ce n'est pas celui de la télévision. Définitivement, celle-ci est grandement responsable de la perte du sacré. L'image, c'est, ou plutôt c'était sacré. Ça ne l'est plus. Mais les images sont partout.

17 août 2007


Écran plat (Pérols, 2006)

Partir pour mes idées

Après une intense session de montage et d'étapes de post-production au retour de Palestine, je m'apprête à repartir en tournage pour boucler ma série documentaire qui s'intitulera finalement "Partir pour ses idées". Je filme en effet ceux qui partent pour défendre une vision du monde en aidant les défavorisés, bien que pour certains d'entre eux il s'agisse finalement d'un emploi comme un autre.
Moi aussi, je pars pour faire ces documentaires selon certaines idées qui sont les miennes. Quelles valeurs ont-elles et puis-je les définir ? Non, pas vraiment. "Partir pour ses idées", mais revenir avec quoi ? Un produit audiovisuel qui semble se noyer dans le flot d'images, un morceau de vie des exclus, ces oubliés rencontrés sur place, que l'on oubliera à nouveau, une seconde fois, alors que l'émission s'achève.
"Partir pour ses idées". Partir pour mes idées : filmer ceux qui n'ont rien, pour mettre le doigt dans l'oeil de ceux qui ont tout, comme un coup de poing. Mais au final, à peine une petite claque pour les nantis, et rien de plus pour les filmés qui, eux, continuent de recevoir les coups.
Tout se dissoud dans la télévision. Mes idées aussi.
Je suis réalisateur : à peine un emploi comme un autre.

21 juin 2007


L'Autorité (Jénine, 2007)

La succession

Yasser Arafat. Il reste la figure tutélaire, et ici on se bat finalement pour savoir qui pourra le remplacer trois ans après sa disparition : les successeurs officiels du Fatah ou les opposants du Hamas. Tous s’accordent toutefois sur un point : de son vivant, la confrontation armée actuelle et la scission de la Palestine en deux états (Gaza et la Cisjordanie) ne seraient jamais advenues.
Abou Ammar. Pour tous les enfants de Cisjordanie que nous rencontrons, il est le Père, l’Oncle, le Grand-père. Son portrait, partout, trône, dans les rues, les administrations, les écoles, reléguant les actuels dirigeants au second plan. Il est la Palestine unifiée, et rares sont ceux qui osent écorner son image publiquement (à leurs risque et péril). Rarement un homme aura incarné un pays comme le Président Arafat, et même les opposants aujourd’hui historiques du Hamas s’abaissent à reconnaître son éternelle autorité. La situation actuelle est finalement le résultat de sa disparition : les enfants de Palestine n’ont plus de père. La bataille de succession entre frères a donc commencé. C’est l’histoire éternelle de l’humanité.

Thawra (Jénine, 2007)

Révolution

À Naplouse, chaque nuit est rythmée par les tirs des fusils-mitrailleurs qu’accompagnent les klaxons des défilés des mariages, nombreux.Pendant que les hommes armés du Fatah délogent et punissent les membres du Hamas encore présents en ville, on s’épouse gaiement dans les sous-sols des grands hôtels avant de faire savoir à toute la ville qu’on s’aimera pour l’éternité. Mort et vie. Les Palestiniens sont hédonistes et chaleureux, généreux et d’une hospitalité qui dépasse l’entendement (du matin au soir, les hôtes vous gavent, littéralement). Mais ils peuvent aussi, dans le même élan d’intensité, se transformer en de sombres guerriers qui tuent avec la même générosité. Se battre, c’est culturel. Peut-être est-ce là que réside le drame actuel du déchirement interne ? Il faut se battre, trouver une raison de mourir, de devenir martyr ou combattant. Dans la paix, plus de raison d’être : le mariage et l’amour ne suffisent pas pour faire un homme. Les membres du Hamas l’ont bien compris.
Et les femmes ? Thawra a 29 ans. En arabe, son nom signifie «Révolution». Elle vit à Jénine, l’un des camps de réfugiés palestiniens les plus violents de tous les territoires occupés. Un camp de résistants en colère. À Jénine, chaque famille a son martyr ou son prisonnier. La prison, Thawra y a passé un an, arrêtée à l’âge de 26 ans parce que l’armée israélienne la soupçonnait d’être une future bombe humaine. Enfermée dans une cellule d’un mètre sur un mètre, il ne lui était pas possible d’allonger ses jambes pour dormir. Son unique luxe : des toilettes privées qui occupaient cet espace déjà minuscule. Reconnue innocente, elle a été battue par huit gardiens avant d’être libérée. Peut-être une façon de s’excuser.Revenue à Jénine, elle a appris que son fiancé était maintenant un martyr, assassiné dans une attaque au missile perpétrée par l’armée israélienne. Rejetée par une partie de la communauté à cause de ce passé douteux, Thawra aurait pu baisser les bras. Elle a choisi de retrousser ses manches : elle est aujourd’hui une volontaire active du Neighbourhood Corners, le comité de femmes engagées auprès des jeunes de la communauté. C’est ça, la révolution.

18 juin 2007


Al Jazeera (Naplouse, 2007)

Tous Palestiniens

Faut-il filmer la haine et les conflits ? C’est la question que m’impose aujourd’hui l’œil unique de ma caméra : il me fige, brillant dans le recoin sombre de ma chambre d’hôtel. D’une seule réalité, on peut tirer mille vues. Depuis deux jours, je lutte contre ma Panasonic qui réclame son lot « d’évènements » : partir en quête de sirènes, de cagoules, de fusils d’assaut, de jeeps et, - avec un peu de chance -, de sang. Les cowboys de Reuters et les vampires de France-Presse ne sont pas, à priori, mes modèles. Mais la tentation est grande de filmer la violence quand on la côtoie de si près : comme un copiste, on veut reproduire ce qu’on vient de voir sur CNN ou Al Jazeera. J’ai beau ne pas être « mandaté » pour parler de cela, le sentiment qu’il faut montrer le conflit s’impose. Mais le montrer pourquoi ? Ou plutôt : que montrer exactement ?
Certes, les tirs résonnent. Certes, les hommes forts du Fatah défilent fièrement fusils au poing, s’empilent dans des taxis qu’ils réquisitionnent pour parader encagoulés. Mais aujourd’hui, j’ai compris que tout cela ne valait pas la peine d’être filmé. C’est un enfant rencontré dans le village de Beit Imrin, sur les hauteurs de Naplouse, qui me l’a fait comprendre d’un trait : « Tout ça n’a pas d’importance. Nous sommes tous Palestiniens. »
Les enfants.
Ici, ils vous disent « Fuck you ! » sur le ton d’un « Welcome ! », et il suffit de leur dégainer un sourire pour les désarmer. Loin des tirs et en leur compagnie, j’ai aujourd’hui appris de force à danser le Dabkeh, marqué un but au cours d’un terrible match de foot trop ensoleillé, ingurgité gourmandises et sucreries de maison en maison, pris en otage par leurs parents. La Palestine est un pays dangereux, n’y venez pas et abandonnez-moi à mon sort. Merci.

Abou Ammar (Ramallah, 2004)
Photographe : Anonyme

17 juin 2007

Hamas contre Fatah

Naplouse, 16 juin 2007. Retour en terres palestiniennes après trois ans alors que le Hamas et le Fatah se déchirent dans une guerre fratricide un peu honteuse. Car c’est ce sentiment qui envahit les cœurs ici et à Ramallah. Pour les citoyens, ce déchirement interne jette un pays à terre, des années de lutte pour une cause commune sont incendiées en quelques journées. À Ramallah, dans le camp d’Al-Amarie, j’ai vu les enfants jouer à la guerre, comme tous les enfants. Le scénario de ces jeunes palestiniens a toutefois changé : hier, ils jouaient à juifs contre arabes. Aujourd’hui, ils jouent à Hamas contre Fatah. Et tous veulent être Hamas, comme tous voulaient être juif auparavant. Les enfants sont comme ça, ils veulent toujours être le plus fort, le plus puissant. Demain, première visite au camp de Jénine où débutera notre tournage. Dans les rues de la superbe Naplouse, au crépuscule, j’ai rencontré un groupe de jeunes garçons qui m’ont accueilli en me lançant une pierre grosse comme un poing. J’ai rebroussé chemin, vaincu : je ne suis ni juif ni Hamas. Comment les enfants de Jénine m’accueilleront-ils demain ?

14 mai 2007


Refugee criquet (Dadaab, 2007)

13 mai 2007

Humanitarian Park

Hier, au cours d’une nuit sans sommeil, j’ai écrit sur un carnet : « Je suis le réfugié d’un monde moderne, poursuivant la quête effrénée d’une connexion internet afin de me lier un instant aux miens. »
Je venais alors d’arriver dans le campement kenyan de Dadaab qui accueille les travailleurs humanitaires de l’UNHCR et de CARE. Cette espèce de camping tout inclus est implanté dans un univers aride envahi par les réfugiés somaliens qui fuient guerre et inondations.
Trois camps de réfugiés, un village de bergers kenyans, un campement pour humanitaires, c’est Dadaab. Pour rendre visite aux Somaliens, il faut emprunter un bus avec escorte militaire et franchir des barrières de fils barbelés, mesures de sécurité obligent. Debout dans la poussière, ces femmes, ces enfants, ces hommes nous regardent passer ; nous, les regardons nous regarder. Qui est l’attraction ? Humanitarian Park.
La nuit venue donc, l’amertume m’envahit. Je la mélange à une dose de prescription anti-paludique et à un zest de jet-lag. Le cocktail est puissant : insomnie. « Je suis le réfugié d’un monde moderne, poursuivant la quête effrénée d’une connexion internet… » Les criquets, qui ont envahi ma chambre, m’accompagnent en rythme. La phrase rebondit dans mon crâne. Je m’en libère.
C’est que j’ai passé la fin de ma journée à me battre frénétiquement avec mon ordinateur qui refuse de se lier au réseau internet local. Il est snob : c’est un Mac. Mais je lutte, je résiste : je veux fuir mon camp, « me lier un instant aux miens ».
Le lendemain matin, je rencontre un jeune photographe français en mission pour une ONG. Il a bien dormi. Pour lui, ce sont les Somaliens qui vivent dans un tout-inclus, qui se contentent d’attendre qu’on leur fournisse nourriture et soutien logistique. Rien à voir, - à l’écouter -, avec les réfugiés rwandais qu’il a rencontrés à Nairobi, eux qui ont vraiment souffert. Compétition du malheur, hiérarchie des misères. Je dois être un peu sensible, car le destin des Somaliens croisés lors d’un atelier filmé hier, m’a déjà paru terrible.
Je ne dois pas filmer comme d’autres enregistrent des images. Je dois franchir les barbelés, mais aussi défier le cynisme et l’amertume. Je suis le réfugié du camp des nantis, et ma seule quête est ridicule : trouver une connexion internet viable. Ne plus avoir les siens, qu’on soit Rwandais ou Somaliens, qu’on squatte Dadaab ou Nairobi, c’est une histoire que je ne connais pas. J’aimerais être capable de la raconter. Pourquoi ? Je ne sais pas.

04 février 2007


Derrière la vitre (Orodara, 2006)

Corps à corps : èchec

Rien, aucune image, aucun son, ne peut faire saisir à qui ne l'a pas vécu ce qu'auront été les tournages que je viens d'effectuer au Pérou, au Ghana et au Burkina Faso. En fait, toutes les images et tous les sons qui résultent de ma mission (ramener un documentaire) ne représentent en rien ce que mon coeur, mon esprit enregistrent au moment de ces tournages. Mon corps à corps avec le réèl engendrent des vues qui ne sont que balbutiements, murmures, hoquets. Je n'arrive pas à dire ce que ce fût vraiment ; ce que Puchin, Massawoud, Sourab ont provoqué (transformé) en moi. En somme, tout ceci est un monstrueux échec. Ce que je saisis du Monde, je n'arrive pas vraiment à le partager. Mais le produit audiovisuel est là, malhonnêtement conçu, pour informer, divertir, et je ne sais quoi encore qui ne relatera jamais ce que fût véritablement la lutte fraternelle avec la réalité. Tout documentaire que je conçois est donc tout d'abord le récit d'un échec. Un échec documentaire.