21 juin 2007


L'Autorité (Jénine, 2007)

La succession

Yasser Arafat. Il reste la figure tutélaire, et ici on se bat finalement pour savoir qui pourra le remplacer trois ans après sa disparition : les successeurs officiels du Fatah ou les opposants du Hamas. Tous s’accordent toutefois sur un point : de son vivant, la confrontation armée actuelle et la scission de la Palestine en deux états (Gaza et la Cisjordanie) ne seraient jamais advenues.
Abou Ammar. Pour tous les enfants de Cisjordanie que nous rencontrons, il est le Père, l’Oncle, le Grand-père. Son portrait, partout, trône, dans les rues, les administrations, les écoles, reléguant les actuels dirigeants au second plan. Il est la Palestine unifiée, et rares sont ceux qui osent écorner son image publiquement (à leurs risque et péril). Rarement un homme aura incarné un pays comme le Président Arafat, et même les opposants aujourd’hui historiques du Hamas s’abaissent à reconnaître son éternelle autorité. La situation actuelle est finalement le résultat de sa disparition : les enfants de Palestine n’ont plus de père. La bataille de succession entre frères a donc commencé. C’est l’histoire éternelle de l’humanité.

Thawra (Jénine, 2007)

Révolution

À Naplouse, chaque nuit est rythmée par les tirs des fusils-mitrailleurs qu’accompagnent les klaxons des défilés des mariages, nombreux.Pendant que les hommes armés du Fatah délogent et punissent les membres du Hamas encore présents en ville, on s’épouse gaiement dans les sous-sols des grands hôtels avant de faire savoir à toute la ville qu’on s’aimera pour l’éternité. Mort et vie. Les Palestiniens sont hédonistes et chaleureux, généreux et d’une hospitalité qui dépasse l’entendement (du matin au soir, les hôtes vous gavent, littéralement). Mais ils peuvent aussi, dans le même élan d’intensité, se transformer en de sombres guerriers qui tuent avec la même générosité. Se battre, c’est culturel. Peut-être est-ce là que réside le drame actuel du déchirement interne ? Il faut se battre, trouver une raison de mourir, de devenir martyr ou combattant. Dans la paix, plus de raison d’être : le mariage et l’amour ne suffisent pas pour faire un homme. Les membres du Hamas l’ont bien compris.
Et les femmes ? Thawra a 29 ans. En arabe, son nom signifie «Révolution». Elle vit à Jénine, l’un des camps de réfugiés palestiniens les plus violents de tous les territoires occupés. Un camp de résistants en colère. À Jénine, chaque famille a son martyr ou son prisonnier. La prison, Thawra y a passé un an, arrêtée à l’âge de 26 ans parce que l’armée israélienne la soupçonnait d’être une future bombe humaine. Enfermée dans une cellule d’un mètre sur un mètre, il ne lui était pas possible d’allonger ses jambes pour dormir. Son unique luxe : des toilettes privées qui occupaient cet espace déjà minuscule. Reconnue innocente, elle a été battue par huit gardiens avant d’être libérée. Peut-être une façon de s’excuser.Revenue à Jénine, elle a appris que son fiancé était maintenant un martyr, assassiné dans une attaque au missile perpétrée par l’armée israélienne. Rejetée par une partie de la communauté à cause de ce passé douteux, Thawra aurait pu baisser les bras. Elle a choisi de retrousser ses manches : elle est aujourd’hui une volontaire active du Neighbourhood Corners, le comité de femmes engagées auprès des jeunes de la communauté. C’est ça, la révolution.

18 juin 2007


Al Jazeera (Naplouse, 2007)

Tous Palestiniens

Faut-il filmer la haine et les conflits ? C’est la question que m’impose aujourd’hui l’œil unique de ma caméra : il me fige, brillant dans le recoin sombre de ma chambre d’hôtel. D’une seule réalité, on peut tirer mille vues. Depuis deux jours, je lutte contre ma Panasonic qui réclame son lot « d’évènements » : partir en quête de sirènes, de cagoules, de fusils d’assaut, de jeeps et, - avec un peu de chance -, de sang. Les cowboys de Reuters et les vampires de France-Presse ne sont pas, à priori, mes modèles. Mais la tentation est grande de filmer la violence quand on la côtoie de si près : comme un copiste, on veut reproduire ce qu’on vient de voir sur CNN ou Al Jazeera. J’ai beau ne pas être « mandaté » pour parler de cela, le sentiment qu’il faut montrer le conflit s’impose. Mais le montrer pourquoi ? Ou plutôt : que montrer exactement ?
Certes, les tirs résonnent. Certes, les hommes forts du Fatah défilent fièrement fusils au poing, s’empilent dans des taxis qu’ils réquisitionnent pour parader encagoulés. Mais aujourd’hui, j’ai compris que tout cela ne valait pas la peine d’être filmé. C’est un enfant rencontré dans le village de Beit Imrin, sur les hauteurs de Naplouse, qui me l’a fait comprendre d’un trait : « Tout ça n’a pas d’importance. Nous sommes tous Palestiniens. »
Les enfants.
Ici, ils vous disent « Fuck you ! » sur le ton d’un « Welcome ! », et il suffit de leur dégainer un sourire pour les désarmer. Loin des tirs et en leur compagnie, j’ai aujourd’hui appris de force à danser le Dabkeh, marqué un but au cours d’un terrible match de foot trop ensoleillé, ingurgité gourmandises et sucreries de maison en maison, pris en otage par leurs parents. La Palestine est un pays dangereux, n’y venez pas et abandonnez-moi à mon sort. Merci.

Abou Ammar (Ramallah, 2004)
Photographe : Anonyme

17 juin 2007

Hamas contre Fatah

Naplouse, 16 juin 2007. Retour en terres palestiniennes après trois ans alors que le Hamas et le Fatah se déchirent dans une guerre fratricide un peu honteuse. Car c’est ce sentiment qui envahit les cœurs ici et à Ramallah. Pour les citoyens, ce déchirement interne jette un pays à terre, des années de lutte pour une cause commune sont incendiées en quelques journées. À Ramallah, dans le camp d’Al-Amarie, j’ai vu les enfants jouer à la guerre, comme tous les enfants. Le scénario de ces jeunes palestiniens a toutefois changé : hier, ils jouaient à juifs contre arabes. Aujourd’hui, ils jouent à Hamas contre Fatah. Et tous veulent être Hamas, comme tous voulaient être juif auparavant. Les enfants sont comme ça, ils veulent toujours être le plus fort, le plus puissant. Demain, première visite au camp de Jénine où débutera notre tournage. Dans les rues de la superbe Naplouse, au crépuscule, j’ai rencontré un groupe de jeunes garçons qui m’ont accueilli en me lançant une pierre grosse comme un poing. J’ai rebroussé chemin, vaincu : je ne suis ni juif ni Hamas. Comment les enfants de Jénine m’accueilleront-ils demain ?