08 octobre 2006


14 Juillet (Arusha, 2005)

Imposteur

Aujourd'hui, tout est imposture mais il n'y a pas d'imposteurs.
Alors que je m'apprête à partir au Pérou dans quelques heures afin de poursuivre le tournage de ma série, je me pose cette question : quand découvrira-t-on que je suis, moi, un imposteur ? Combien de temps serai-je encore capable de donner l'illusion, de faire croire à ceux qui m'entourent que je sais ce que je fais ?
Je crois ne pas être véritablement capable de comprendre le monde. Rester lucide, éveillé, me demande un effort terrible que je ne fournis pas toujours. Je m'isole alors dans des clichés de pensée, mais surtout je construis des images que je crois justes quant à ce qu'elles restituent de ma propre vision des choses et des êtres.
Je fais des images pour moi-même. Pas pour les autres. Je ne crois que ce que je filme. Et je ne crois surtout à ma propre existence, - somme des expériences extraordinaires que j'ai la chance de vivre -, qu'à travers ce que je filme.
Ces images n'ont alors peut-être aucune importance aux yeux des autres, aucun impact. Mais pour moi, c'est beaucoup. Je regarde et je me dis : c'est moi, j'y étais.
Tous ceux qui croisent mon objectif sont donc là pour me faire exister un instant. Ce sentiment a atteint son paroxysme lorsque je me trouvais au fond des mines de tanzanite de Mererani (Tanzanie, juillet 2005) pour y filmer le travail des mineurs. Au coeur des ténèbres, sous des tonnes de roches friables, frôlant la dynamite dans les couloirs où nous rampions, je me sentais vivant. Je me sentais aussi en communion avec les travailleurs (Titi, le mineur de vingt ans qui regrette de ne pas avoir étudié davantage : son rêve était de devenir comptable aux Nations Unies).
Mais les images, au bout du compte, que donnent-elles à voir... Que reste-t-il en moi de ce moment ? Des reminiscences vidéographiques perdues dans un flot télévisuel. Mes propres souvenirs se noient. Je me noie. Mais je suis encore vivant.

05 octobre 2006


Sténopé (Ocotal, 2006)
Photographe : Jose Alfredo Rocho Almeria, 13 ans

Le Président et l'oiseau

Je termine actuellement le montage d'un épisode de ma série documentaire tourné au mois de juillet dernier au Nicaragua. On y découvrira le projet de Patmiki, un couple d'artistes québécois qui enseignent la photographie aux enfants défavorisés à l'aide de boîtes de conserve usagées transformées en cameras obscuras.
Lors de mon arrivée à Managua (03.07.2006), j'écrivais une première série d'impressions assis au bord de la piscine d'un hotel semi-luxueux (Las Mercedes), seul endroit accueillant pour une longue attente au pied de l'aéroport (où j'avais rendez-vous) :

Je retrouve à Managua l'odeur de Rio de Janeiro. Ma chemise colle en sortant de l'avion et l'odeur pénétrante d'humidité végétale me saute au nez. Je connaîs mal l'histoire du Nicaragua. J'ai des notions au sujet des relations détestables que le pays entretient avec les États-Unis depuis toujours. Vagues notions. Or, est-ce un signe ? Mais ce matin, dans l'avion qui me menait ici à partir d'Atlanta, Jimmy Carter - fier comme un Président des USA peut l'être -, m'a serré la main ainsi qu'à tous les autres passagers car il voyageait avec nous. Frêle vieillard, il sourit encore et possède une poigne surprenante de robustesse (les années de pratique, sûrement). Sa grande assurance lui permet de ne pas disparaître, - petite silouhette de retraité de Floride -, au milieu de ses compagnons de voyage, des gorilles arborant étoiles de shérif et oreillettes de film d'espionnage. Sur Carter non plus, je ne sais presque rien. Et il n'y a pas de hasard. Il faut que j'apprenne. L'odeur me berce sur la terrasse luxuriante de l'hotel pour riches voyageurs où j'attends mes amis. Je viens de me faire plumer de quinze dollars US pour des brochettes mal cuites : c'est la règle du jeu. Les sourires du personnel bienveillant sont sincères, j'en suis sûr. Mais "Gringo, je te plumerai". Un oiseau affreux, déplumé, au long bec pointu, noir, sale, au cou brisé, sautillant sur la seule patte qui lui reste, vient de quémander une miette de hamburger à la table voisine, celle d'un homme d'affaires états-unien qui m'a dit trouver la langue française très romantique. Lui et l'oiseau ne sont pas là pour rien non plus. Ils m'ont offert comme ça, subitement, une image facile, une métaphore trop laide pour être vraie. Encore une fois, j'y vois un signe (alors qu'une corneille, - oiseau de mort -, décolle sous mon nez). Une incitation à la réflexion au sujet du "travail" que je viens effectuer ici. Carter, l'oiseau déplumé, le hamburger, l'odeur tropicale ont un rôle à jouer ici, et ils le tiennent. Qu'en est-il du mien ?

12 septembre 2006


Autochtone (Opitciwan, 2005)

Opitciwan, un an après

Il y a tout juste un an, je me trouvais à Opitciwan, village en territoire atikamek sur les rives du réservoire Gouin (Québec). J'y donnais une formation en documentaire à des membres de la communauté autochtone. Accessoirement. Accessoirement puisque je découvrais tout d'abord mon incapacité à être un formateur de qualité, n'ayant pas moi-même le sentiment de posséder un savoir dont je serais le maître.
Peu importe. S'offrait en tout cas une nouvelle fois l'opportunité de pouvoir découvrir un pan de notre monde : la catastrophique situation sociale, culturelle, humaine de la "réserve" d'Opitciwan, et l'incapacité des élites québécoises, canadiennes et autochtones pour améliorer celle-ci.
Je me sentais triste et démuni face à tout cela, et je prenais la fuite dès la fin de mon "mandat" (puni par la forêt, je terminais d'ailleurs ma course en voiture par un tonneau dans le fossé). En fait, jamais sentiment de rejet face à la réalité ne s'était manifesté chez moi avec autant de virulence : en République Démocratique du Congo ou en Palestine, j'avais au moins ressenti une certaine forme d'allégresse. Un mois à Opitciwan m'avait déprimé.
Un an après, je publie ici un court poème rédigé à l'époque et je le dédie aux amis du village, et à Justin, Jacquelin et Roland en particulier :

J’ai marché sur les étoiles
Tapis de verre brisé
Sous une pleine lune d’automne
Fleurs d’houblon plein les pieds.

01 mars 2006


La Balançoire (Ramallah, 2004)

Se souvenir de Ramallah (sans écran)

Parmis les projets qui m'obsèdent, celui de retourner à Ramallah pour rencontrer la famille de Mohammed, le jeune homme mort devant ma caméra en septembre 2004, écrasé par une jeep militaire israélienne sur laquelle il lançait des pierres.
De cette aventure documentaire, - qui a donné la vidéo de 52 minutes intitulée Si j'avais un chapeau -, je n'ai pas encore tiré toutes les leçons. Honteusement, j'ai été plus préoccupé par le parcours du documentaire dans un réseau de diffusion (et par conséquent par ma propre existence télévisuelle ou festivalière) que par le message profond qui se dégage de cette expérience.
J'écris "message" car je ne trouve pas d'autre mot. Mais cela ne convient pas, trop mystique. Alors qu'il s'agit juste de sentiment : qu'ai-je véritablement ressenti au moment de cette mort ? C'est triste mais je crois que je n'ai rien ressenti pour Mohammed en particulier. Je n'ai pas eu de peine pour lui et ses proches.
Obstiné, idiot, doté d'une caméra derrière laquelle je me cachais, j'ai vu "l'évènement" sur l'écran LCD de ma PD150. Ce n'est donc pas à la mort d'un jeune homme que j'ai assisté, mais à la représentation de cette mort telle que je la composais moi-même à ce moment-là.
Je ne me disais pas : un enfant est mort. Je pensais : comment cadrer et que filmer.
J'avais une image-choc en ma possession, j'en étais le maître. Et c'est un profit d'orgueil que j'allais en tirer : j'ai surpris la mort, je l'ai filmée au travail (moi aussi, je faisais un triste travail).
Je croyais alors faire du grand documentaire. Je faisais de la merde.
Il me faut être lucide. Il me faut retourner là-bas et ressentir. Sans écran ?
Mais non, c'est plus fort que moi, que nous, il faut filmer, toujours et encore.
Alors au moins, soyons sincère.