14 mai 2007


Refugee criquet (Dadaab, 2007)

13 mai 2007

Humanitarian Park

Hier, au cours d’une nuit sans sommeil, j’ai écrit sur un carnet : « Je suis le réfugié d’un monde moderne, poursuivant la quête effrénée d’une connexion internet afin de me lier un instant aux miens. »
Je venais alors d’arriver dans le campement kenyan de Dadaab qui accueille les travailleurs humanitaires de l’UNHCR et de CARE. Cette espèce de camping tout inclus est implanté dans un univers aride envahi par les réfugiés somaliens qui fuient guerre et inondations.
Trois camps de réfugiés, un village de bergers kenyans, un campement pour humanitaires, c’est Dadaab. Pour rendre visite aux Somaliens, il faut emprunter un bus avec escorte militaire et franchir des barrières de fils barbelés, mesures de sécurité obligent. Debout dans la poussière, ces femmes, ces enfants, ces hommes nous regardent passer ; nous, les regardons nous regarder. Qui est l’attraction ? Humanitarian Park.
La nuit venue donc, l’amertume m’envahit. Je la mélange à une dose de prescription anti-paludique et à un zest de jet-lag. Le cocktail est puissant : insomnie. « Je suis le réfugié d’un monde moderne, poursuivant la quête effrénée d’une connexion internet… » Les criquets, qui ont envahi ma chambre, m’accompagnent en rythme. La phrase rebondit dans mon crâne. Je m’en libère.
C’est que j’ai passé la fin de ma journée à me battre frénétiquement avec mon ordinateur qui refuse de se lier au réseau internet local. Il est snob : c’est un Mac. Mais je lutte, je résiste : je veux fuir mon camp, « me lier un instant aux miens ».
Le lendemain matin, je rencontre un jeune photographe français en mission pour une ONG. Il a bien dormi. Pour lui, ce sont les Somaliens qui vivent dans un tout-inclus, qui se contentent d’attendre qu’on leur fournisse nourriture et soutien logistique. Rien à voir, - à l’écouter -, avec les réfugiés rwandais qu’il a rencontrés à Nairobi, eux qui ont vraiment souffert. Compétition du malheur, hiérarchie des misères. Je dois être un peu sensible, car le destin des Somaliens croisés lors d’un atelier filmé hier, m’a déjà paru terrible.
Je ne dois pas filmer comme d’autres enregistrent des images. Je dois franchir les barbelés, mais aussi défier le cynisme et l’amertume. Je suis le réfugié du camp des nantis, et ma seule quête est ridicule : trouver une connexion internet viable. Ne plus avoir les siens, qu’on soit Rwandais ou Somaliens, qu’on squatte Dadaab ou Nairobi, c’est une histoire que je ne connais pas. J’aimerais être capable de la raconter. Pourquoi ? Je ne sais pas.